vendredi 22 septembre 2023

(Extraction roman)

Je remarquais depuis peu, après plusieurs hésitations, qu’elle ne me regardait pas avec la même intensité dont elle faisait preuve d’habitude, alors même, que si nous avions maintenant accru la fréquence de nos rencontres, malgré nous, souvent en présence de collègues, par la force des choses, en particulier par les impératifs professionnels, son attitude avait changée, c’est à dire l’impression qu’elle me donnait du regard qu’elle portait sur moi. Nous n’avions jamais pu échanger quelques mots, ou même discuter, si ce n’est les habituelles formalités de politesses que l’on a avec les personnes que l’on croise dans son milieu professionnel, mais avec ce « petit rictus singulier », réponse à cette impression suggérée plus haut, qui nous fait croire ou fantasmer qu’elle puisse nous distinguer des autres, que nous sommes « à part », émettant des signes, qui ne sont en réalité que des coups d’épées dans l’eau, mais qui stimulent notre ego, à tel point que nous y repensons toute la journée comme le moment le plus crucial de cette dernière, l’instant qui porte notre narcissisme à son apogée.
Ces petits gestes qui alimentent le désir, notre désir, sans tenir compte de celui de l’autre, prennent une ampleur encore plus significative lors de moments comme celui-ci, où nous remarquons cette différence dans le regard de l’autre, comme si notre désir n’avait cessé d’interagir à distance avec elle et qu’il ait modifié sa façon de nous voir, de nous percevoir, un flux d’énergie, au-delà des mots, au-delà des gestes puis des regards, qui se serait entretenu de lui-même par le passage du temps.

C’est donc ce soir là, au crépuscule, lors d’un événement festif clôturant l’année, alors que je discutais avec d’autres personnes, qu’il est vrai que je connaissais mieux, que je remarquais cette différence, pas immédiatement perceptible par des signes tangibles, mais bien par des micro perceptions, qui échappent à certains, pour ne pas dire à la plupart, mais qui nous sont directement adressés par la posture du corps et la façon dont le regard nous cherche puis nous trouve tout en nous échappant, dans une lueur aussi furtive que la célérité d’une onde corpusculaire à l’aurore d’une journée prometteuse. Les mouvements de nos deux corps, tout au long de cette soirée, étaient semblable à une chorégraphie qui n’aurait jamais été mise en scène et pensée mais seulement improvisée comme une parade entre deux âmes sauvages dans la savane africaine, qui tournaient autour d’un point fictif central et bondissaient d’une personne ou d’un groupe de personnes à un autre sans jamais atteindre le désir enfoui de l’autre. C’est l’une des différences essentielles avec l’animal, l’humain a cette pudeur ou cette timidité qui parfois l’empêche d’approcher l’objet de son désir, préférant souvent rester dans une forme d’incertitude, une volonté de différé l’inéluctable, plutôt que de réaliser que tout n’est qu’une mascarade où la séduction s’arrête à ce ballet et à ce jeu des regards s’empêchant de plonger dans le grand vide.

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