jeudi 22 janvier 2015

Une inquiétante étrangeté

Un film classique par sa forme, sans artifice ni trouvaille dont le centre de gravité est une histoire originale. Fincher et son scénariste (Eric Roth, excellent, souvenons-nous de 'The good Shepherd' ou 'Munich') en adaptant la nouvelle de S. Fitzgerald se sont attachés à nous montrer la longue et lente (c'est là la clef du film) progression d'un personnage qui rajeunit alors que son entourage vieillit. La coïncidence temporelle entre deux êtres qui s'aiment. Tout le début du film permet de nous attacher à Benjamin jeune (à l'intérieur et vieux d'apparence). C'est la condition sinequanone de notre adhésion au présupposé, sommes toutes fantastique, d'un film dont le réalisme est impressionnant. Je n'imagine même pas ce qu'aurait fait un cinéaste mineur dirigé par une production majeure de ce scénario improbable et qui aurait pu vite tourné vers le loufoque!!
Toute l'émotion de ce film vient du fait que nous sommes soumis et formatés à nos repères habituels où les protagonistes vieillissent ensemble. Ici, il n'en est rien. De ce fait une contradiction et un dilemme naissent en nous. Ce sont ces questions que soulèvent le scénario qui m'intéressent car elles relèvent d'une éthique. Comment justifier le désengagement (responsable) de BB lorsqu'il abandonne sa famille? En tant que spectateur lambda pouvons-nous le justifier? De plus lorsque sa compagne se transforme peu à peu en mère et qu'il meure dans ses bras bébé (scène hallucinante et d'une émotion rare; à ce sujet il y avait longtemps que je n'avais pas ressenti une telle émotion collective et palpable dans une salle de Cinéma), toutes nos conventions s'écroulent. Et dit-elle qu'elle pouvait lire dans son regard...
A ce moment, et c'est bien là la réussite de la mise en scène, le réalisme l'emporte, donc l'émotion.
Les voix, off et in, sont les autres éléments fondamentaux du film. Le travail sur les intensités, les inflexions en fonction de l'âge sont réussies. Le film passe du murmure où les paroles sont évoquées à la voix affirmée d'adulte puis reviennent à un cri primal. L'accompagnement de la musique de Desplat est un modèle de simplicité et de discrétion non ostentatoire. Cette volonté de prendre le spectateur à contre courant au regard de la production standard est évidente. En ce sens Fincher a trouvé avec ce film et son film précédent Zodiac un style nouveau, fait de sobriété, même si elle cache un travail colossal sur les détails pour atteindre une véracité, et de classicisme, même s'il y a toujours cette volonté de "provoquer" le spectateur au regard des conventions.

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